Le plat à la Chapelle royale du service de Waterloo par Faber

Le musée Wellington expose dans la salle consacrée à la vie du duc de Wellington un plat issu de la manufacture Faber sous le numéro d’inventaire 03/012/a, entré dans notre collection à  l’occasion d’un achat en 2003. Il fut précédemment exposé lors de l’exposition tenue au musée Wellington « Waterloo à travers les porcelaines et les faïences » du 28 octobre au 30 novembre 1997 (pièce n°14).

Le plat représente la Chapelle royale de Waterloo de style baroque brabançon construite en 1687 sur ordre de Francisco Antonio de Agurto, marquis de Gastañaga (1640-1702), gouverneur des Pays-Bas espagnols. Par la construction de la chapelle, son intention était de demander à Dieu de donner un héritier au Roi Charles II d’Espagne (règne de 1665 à 1700), en vain ! Le roi Charles II désigne comme son successeur le petit-fils de Louis XIV (règne de 1643 à 1715), le duc d’Anjou (futur Philippe V), ce qui va ouvrir la guerre de Succession d’Espagne. Les autres puissances européennes craignent l’hégémonie de la France, l’Espagne devenant pour celle-ci une alliée naturelle liée par les liens du sang. Waterloo en sera l’un des témoins sanglants lors de l’escarmouche opposant les troupes du Belge Jacques Pastur aux Britanniques de Malborough en 1705.

Le plat à la chapelle de Waterloo © Musée Wellington
Fine tasse tripode et sa soucoupe en porcelaine or et polychrome par Faber, ornée sur le devant d'une miniature ovale représentant « l’empereur Napoléon Ier», produite entre 1805 et 1814. Réalisée chez Osenat, le 16 novembre 2014. © Osenat

En 1824, la Chapelle royale, transformée en église paroissiale, est agrandie par l’ajout d’une nef à 3 travées qui rompt avec l’équilibre baroque du bâtiment basé sur un plan centré. La peinture exécutée par Faber montre ainsi les dernières années de la Chapelle royale espagnole attribuée à l’architecte Philippe Delsaux. Elle nous permet aujourd’hui de mieux appréhender l’existence de la chapelle et surtout l’évolution de son espace proche.

Le plat montre un travail réalisé en frise de lauriers et de noisetiers sur la dorure qui présente quelques manques. Ce sont des allégories de l’abondance retrouvée sous le royaume Pays-Bas et de la victoire des armées alliées. On retrouve la main de Windish dans le traitement de la céramique. Le plat porte la marque en petit feu « Faber à Bruxelles » à l’or et le monogramme « M.C.G » et « 1824 » dans la dorure.

La manufacture Faber, fondée en 1818, porte le nom de son créateur Frédéric Théodore Faber (1782-1844), fils du peintre Jean Herman Faber (1734-1800). Il fait son apprentissage auprès du peintre Balthazar Ommeganck (1755-1826). Faber commence sa carrière sous la période française comme marchand et peintre dans son magasin de la rue de la Madeleine à Bruxelles. Il importe de la céramique des manufactures parisiennes et de la manufacture de Mortelèque installée à Ixelles au faubourg de Namur. Faber se lance dans la production limitée de céramiques réalisant notamment des éléments de décorations à l’effigie de Napoléon qu’il commercialise dans son atelier.

Lors du salon de 1815, il est remarqué par le roi Guillaume Ier (règne de 1815 à 1840) des Pays-Bas qui le fait « peintre du roi et marchand à la Cour ». Soutenu financièrement par Guillaume Ier qui souhaite stimuler l’industrie dans les provinces du sud, Faber implantera son atelier à Ixelles à l’actuel numéro 41 de la chaussée de Wavre (qui se nommait Chaussée d’Etterbeek).

Faber s’associe à Charles-Christophe Windisch (décédé en 1842) en 1823, porcelainier originaire de Niderviller en Lorraine. Le talent du peintre Faber et les connaissances techniques de Windisch propulseront la fabrique Faber à un très haut niveau comparable à celui de Sèvres. En 1825, la manufacture devient royale et porte le nom de « Manufacture royale de porcelaine » à la suite de son agrandissement.

La révolution de 1830 aura raison de l’association de l’orangiste Faber et de l’indépendantiste Windisch. C’est la fin de ce que les spécialistes nomment « Ixelles 1 » période qui s’étend de 1818 à 1830 qui concerne notre plat. Frédéric Faber prend sa retraite en 1835 tandis que Windisch ouvre avec le soutien financier de Jean-Jacques Coché-Mommens un nouvel atelier situé dans le cabaret « au mayeur » aux abords de la Porte de Namur qui deviendra « Ixelles II » pour les spécialistes. La Manufacture Faber est reprise par Henri Faber qui fermera cette dernière en 1851.

Tasse tulipe à la Chapelle royale de Waterloo ©Stanley’s auction.
Tasse tulipe du service de Waterloo et sa soutasse décorée par les paysages des fermes d'Hougoumont, de la Belle Alliance et de la Haie Sainte par Faber et Windisch, produite vers 1824. Présentée chez Stanley’s Auction, le 28 mars 2021 ©Stanley’s auction.

Stylistiquement, les productions « Ixelles 1 » associent la profusion de l’or qui, non passé à la pierre d’agate, décore toute la surface de la céramique par un décor de frises alors que les céramiques de la même époque tendaient à mettre en avant le blanc de la porcelaine. La peinture due à Faber se démarque des autres peintures sur céramique par un côté profondément influencé par la peinture sur toile, ainsi le ciel est traité comme sur un tableau ce qui est très rare en céramique. Outre la représentation animalière, ses « chinoiseries », ses paysages romantiques et ses peintures de villageois « à la Teniers » sont ses sujets de prédilection. Le peintre se spécialise aussi dans la glorification des armées alliées de 1815, fournissant de la porcelaine à la Waterloomania qui gagne nombre de ses contemporains. La Manufacture sera aussi un lieu où se formeront des artistes comme Louis Nédonchelle (1790-1839).

Faber et Windisch développent par le talent du peintre et par la capacité technique du céramiste, un style original qui aura un impact important sur les productions bruxelloises de la future Belgique indépendante.

Ce plat est représentatif de l’intérêt que prend champ de bataille de Waterloo dans l’imaginaire collectif de la période des Restaurations monarchiques européennes entre 1815 et 1830. Il était d’ailleurs l’une des pièces du service de Waterloo produit par la manufacture Faber dont une tasse qui représente également la Chapelle royale a été proposée récemment par une maison de vente belge.

Plus qu’un fait historique, Waterloo devient une mode dont la possession d’artefact devient un must dans la bourgeoisie des pays vainqueurs à l’image de Becky Sharp du roman Vanity Fair offrant à Matilda Crawley des reliques issues du champ de bataille pour l’attendrir et espérer faire hériter son mari.

Ce plat est extrêmement intéressant pour l’histoire de Waterloo et rend compte de sa rapide évolution au XIXème siècle à travers la métamorphose de la Chapelle royale. Le territoire dépendant de Braine-L’Alleud prend son autonomie et devient une commune à part entière qui se doit d’avoir son église.

Quentin DEBBAUDT

Responsable des collections du Musée Wellington.

Bibliographie

  • Catalogue de vente de l’extraordinaire collection napoléonienne du Palais princier de Monaco, (Jean-Pierre Osenat et Alexandre Giquello), Fontainebleau, Osenat, 2014
  • Catalogue de vente du 28 mars 2021, (Pierre Bouchat et Quentin de Brouwer) Diegem, Stanley’s auction, 2021.
  • Berko P, Berko V, Dictionnaire des peintres belges nés entre 1750 & 1875, Knokke, Laconti, 1981
  • Demeuldre-Coché H, Christophe Windisch, maître porcelainier auquel la porcelaine de Bruxelles doit son efflorescence au XIXe siècle, Bruxelles, Demeuldre-Coché, 1977.
  • Lemaire J., Faïence et Porcelaine de Bruxelles, Éditions Racine, 2003.
  • Quarles van Ufford C, Frédéric Faber (1782-1844), Koninklijk porselein uit het Verenigd Koninkrijk der Nederlanden. Porcelaine royale du Royaume-Uni des Pays-Bas 1815-1830. Met transcriptie van brieven en documenten, Leiden, Primavera, 2004.
  • Vander Cruysen Y, Waterloo 70.000 ans d’histoire, Paris, Editions Jourdan, 2017.