Un mystérieux sabre dans nos collections

Sabre, Waterloo, musée Wellington, 96/419/a

Notre collection possède de nombreux objets dont la provenance est parfois mystérieuse à l’image de ce sabre. Le musée Wellington fut constitué en ASBL en 1954 mais nous savons avec certitude que des « souvenirs » de la bataille de Waterloo y sont présentés depuis 1815. Le bâtiment accueillant des pratiques touristiques et muséales dans leurs acceptation large depuis cette époque[1]. D’illustres visiteurs comme Walter Scott en témoignent[2].
Si la constitution du musée en ASBL va entrainer la mise en œuvre de pratiques muséales, celles-ci vont mettre un certain temps à se professionnaliser. Un premier inventaire complet date de 1996 et la mise en place d’une politique d’acceptation de dons a seulement quelques années.

Il existe donc des artefacts dont la provenance est inconnue ou qui ne sont pas des objets liés de près ou de loin à l’époque des guerres de la Révolution et de l’Empire[3]. Cette situation existe dans de très nombreux musées, même les plus grands, à l’image de l’étagère type d’une réserve muséale présentée lors de l’exposition « Expéditions Egypte » par Luc Delvaux, conservateur de la collection égyptienne des Musées Royaux d’Art et d’Histoire.

Il ne faut donc pas s’étonner de retrouver des pièces dans notre réserve dont l’identité fait débat. C’est ainsi que nous possédons un sabre mystérieux inventorié sous le numéro 96/419/a.

Celui-ci mesure 66,5 cm, est constitué d’une poignée en laiton, sa garde est faite d’une seule pièce en fer et sa lame est également constituée de fer.


[1] Sur le sujet voir : Callataÿ (de) P, Le musée Wellington, trois siècles d’histoire au cœur de Waterloo, Waterloo, échevinat de la culture de Waterloo, 2015.

[2] Scott W, De Waterloo à Paris (1815), lettres de Paul à sa famille, Paris, Mercure de France, 2015.

[3] Au-delà de la bataille de Waterloo, le spectre d’étude du musée Wellington s’étend de 1789 à 1815 ainsi que sur les aspects militaires, politiques, sociaux et culturels de cette époque. 

Un examen attentif ne nous a pas permis d’observer de poinçon qui pourrait permettre de lui donner une origine.

Deux experts qui aidaient l’équipe avant ma désignation comme responsable des collections en 2019 ont proposé deux hypothèses différentes. L’un d’eux affirmait qu’il s’agit d’un sabre de cavalerie britannique modifié tandis qu’un autre pensait qu’il s’agit d’un sabre de la marine française.

L’une et l’autre de ces hypothèses étaient viables, Waterloo ayant gardé de nombreuses armes qui furent transformées et se trouvant relativement proche de bases navales françaises sous le Premier Empire[1].


[1] Anvers, Ostende et Dunkerque.

Hypothèse actuelle émise par le Musée Wellingtin
Poignée du sabre de bord hollandais, Bertrand Malvaux.

Cette poignée cannelée se retrouve également sur le sabre « à la Sartine »[1] mais la forme de la garde est tout à fait différente. L’utilisation du laiton est, en outre, tout à fait typique d’un usage marin au XIXème siècle

[1] En référence au ministre de la Marine de Louis XVI.

La lame, sans gouttière, est la même que celle qui est présente sur le sabre de bord français du modèle 1811 précédemment évoqué dans la rubrique « Zoom sur la collection »[1].

Enfin, ce sabre n’apparait pas dans la typologie des sabres de bord de Michel Petard[2]. Ce qui tend à accréditer l’hypothèse d’une fabrication artisanale réalisée pour la marine marchande.


[1] Debbaudt Q, « Le sabre de bord modèle 1811 » rubrique Zoom sur la collection, Waterloo, musée Wellington, mai 2023.

[2] Petard M, Le sabre d’abordage. Histoire du sabre de bord français de Louis XIV à la IIIe République, Paris, canonnier, 2006.

La navigation post-napoléonienne, un contexte troublé ?

L’utilisation d’un sabre de bord dans un contexte post-napoléonien pourrait sembler étonnant puisque les activités des corsaires européens ont cessé avec la défaite définitive de Napoléon à Waterloo, le 18 juin 1815.

Si les nations européennes n’envoient plus de corsaires attaquer les vaisseaux marchands, la sécurité de ces derniers reste aléatoire en cette première moitié du XIXème siècle. Le journal laissé par Joseph Partoes est éclairant à plus d’un titre. Partoes fut l’un des premiers agents commerciaux de jeune Belgique lancé sur les mers en 1835 à bord du brick « La Flora », il note dans son journal à la date du 3 octobre :

« Hier la Flora a bien failli être attaquée. Nous vîmes dès le matin à l’horizon, vers l’est, un navire que nous prîmes d’abord pour un brick, marchand plein sud […] Nous reconnûmes alors un schooner ou goélette, excellent voilier, s’approchant avec une célérité suspecte. Cette manœuvre peu orthodoxe et la présence d’un homme en observation sur la haute vergue redoublèrent nos craintes d’avoir affaire à des pirates. On en rencontre, paraît-il, assez souvent dans ces parages, entre Madère et le degré de latitude Sud. […] Le capitaine commanda de mettre toutes les voiles dehors pour hâter notre marche. Puis, il ordonna les préparatifs de défense : on sortit les fusils, les sabres, les pistolets tout cela dans un état pitoyable […].

A bord de la Flora, nous attendions, parés. Les marins, armés jusqu’aux dents, paradaient sur le pont. Tous les moyens ordinaires du charlatanisme avaient été employés pour gonfler notre force et prouver notre ardeur belliqueuse. […]

Mais finalement le « Mentor » [le schooner est un vaisseau américain nommé Le Mentor de Baltimore] s’éloigna, se séparant de nous comme à regret. […]

Notre crainte avait peut-être grossi le danger ; cependant, nous naviguions dans les parages les plus fréquentés par les pirates. Plusieurs navires d’Anvers y avaient été pillés et l’un d’eux il y a deux ans, brûlé et son équipage massacré »[1]                

Le navire anversois, « La Flora », fut « attaqué et coulé par des pirates en baie de Mazzastan sur les côtes occidentales de l’Amérique du Sud » nous apprend Yves Quairiaux[2]        

La fin des guerres napoléoniennes n’amène donc pas la paix sur les océans qui restent en proie à des activités de pirateries. L’existence de sabre de bord de la marine marchande prend donc tout son sens dans ce contexte.                                                                          

Quentin Debbaudt, Coordinateur scientifique du musée Wellington                                                                                                      

[1] Decker Doucet de Tillier (de) R, La pittoresque odyssée de Joseph Partoes, Monsieur Belgique 1835, Bruxelles, Lucien De Meyer, 1975 Pp. 28-29

[2] Idem P.153

Bibliographie

Callataÿ (de) P, Le musée Wellington, trois siècles d’histoire au cœur de Waterloo, Waterloo, échevinat de la culture de Waterloo, 2015.

Decker Doucet de Tillier (de) R, La pittoresque odyssée de Joseph Partoes, Monsieur Belgique 1835, Bruxelles, Lucien De Meyer, 1975.

Petard M, Le sabre d’abordage. Histoire du sabre de bord français de Louis XIV à la IIIe République, Paris, canonnier, 2006.

Scott W, De Waterloo à Paris (1815), lettres de Paul à sa famille, Paris, Mercure de France, 2015.

 

Sources sur Internet

Debbaudt Q, « Le sabre de bord modèle 1811 » rubrique Zoom sur la collection, Waterloo, musée Wellington, mai 2023. Disponible sur https://www.museewellington.be/le-sabre-de-bord-modele-1811/ (consulté le 17 décembre 2023).

Malvaux Bertrand, Notice de vente d’un « sabre d’abordage de la marine hollandaise, milieu 19ème siècle », 2023. Disponible sur https://www.bertrand-malvaux.com/fr/p/28338/sabre-d-abordage-de-la-marine-hollandaise-milieu-190-siecle.html (consulté le 17 décembre 2023)