Le sabre de bord modèle 1811

Le musée Wellington a acquis en 2020 lors d’une vente aux enchères, un sabre de bord français du modèle 1811 enregistré sous le numéro d’inventaire 20/030/a.

Ce sabre a fait partie de l’exposition « La marine sous le Premier Empire » présentée au musée Wellington entre le 13 janvier 2023 et le 01er mai 2023. Il sera bientôt intégré à la vitrine « de la Belle-Poule » dans la salle Napoléon.

Le sabre de bord français de l’époque napoléonienne est intégré dans la marine française en 1804 et succède au modèle de 1782 dit « Sartines » en référence au ministre de la marine de Louis XVI. 

Un outil de combat

Les marins étaient équipés d’armes individuelles afin de pouvoir se lancer dans un abordage ou repousser une attaque ennemie. Des tireurs d’élites sont également placés dans les hunes pour abattre en priorité les officiers, c’est ainsi que l’amiral Nelson trouve la mort lors de la bataille de Trafalgar, fauché par une balle venant du « Redoutable ».

Les armes de bord étaient remisées dans des coffres, sous la responsabilité du capitaine d’armes. Ces armes individuelles se composaient de fusils, pistolets, sabres, haches, mais aussi grenades qui étaient distribuées dès le « Branle-bas de combat ». Un combat naval se terminait bien souvent par la prise du navire ennemi par un affrontement qui tournait au corps à corps. D’où l’importance d’un armement spécifique : pistolets, sabres et haches qui étaient optimisés pour le combat en milieu confiné : hauteur sous plafond réduite, coursives étroites,… Des piques servaient à repousser le premier assaut. Il y a aussi les demi-piques qui servent à aller à l’abordage et les coutelas avec une lame plus courte mais plus large que les sabres.  Un vaisseau de 74 canons emporte 70 sabres ou coutelas

Ainsi le sabre de bord présente une lame de longueur plutôt mesurée mais de forte épaisseur afin de pouvoir parer les coups et muni d’une garde très protectrice. Une lame faiblement courbe et bien conçue pour les coups d’estoc.

 

Louis-Philippe Crépin, L'abordage et de la prise par la corvette française La Bayonnaise de la frégate anglaise L'Embuscade en 1798, 1801, musée nationale de la marine de Paris.

Analyse

 

Le modèle napoléonien est dit en « cuillère à pot »,
reconnaissable grâce à l’aspect chantourné que présente son quillon en fer. La
poignée est faite de bois recouvert de fer, le tout est peint au coaltar. On
estime que jusqu’en 1816, 1102 sabres de bord furent fabriqués à Klingenthal ce
qui parait peu.

Entre 1804 et 1811, 3 modèles vont se succéder puis un quatrième viendra en 1833 sous Louis-Philippe.

En nous référant aux recherches de Michel Pétard sur le sujet, la taille de la lame de 68 cm nous permet de distinguer un modèle dit de « 1811 ». Il y a plusieurs modèles qui circulent entre le Consulat et la monarchie de Juillet, comment les distinguer ?

 

Le modèle An IX se caractérise par une lame de 65cm, large et munie d’un important contre-tranchant.

Le quillon chantourné noircit au coaltar

Le modèle An X a une lame de 75cm plus fine, sans le massif
contre-tranchant.

Le modèle 1811 possède une lame de 67,7cm.

Le modèle 1833 a la palmette non chantournée sur son quillon.

 

La lame est poinçonnée « L » pour Lobstein, un « B » difficile
à lire pour le contrôleur de première classe Bick et « K » pour le chef de
bataillon Krantz, inspecteur de la manufacture. Le contre-tranchant présente
l’indication « Juillet 1812 », le nom de la fabrique semblant mouluré.

Le fourreau est manquant, néanmoins de nombreux sabres d’époque Premier Empire sont présentés avec un fourreau postérieur.

Les 3 poinçons sur la lame.

Un sabre reflet d’enjeux maritimes persistants

 Une idée reçue voudrait que la défaite franco-espagnole de Trafalgar le 21 octobre 1805, marque la fin des ambitions navales de Napoléon. La présence d’un sabre de bord fabriqué en 1812 peut donc étonner, pourtant cette pièce est révélatrice des projets de Napoléon pour la mer après 1805.

Si la marine impériale ne peut plus mener de batailles rangées contre la puissante Royal Navy, elle peut néanmoins entreprendre une stratégie sur plusieurs axes pour obliger la Grande-Bretagne à engager des moyens qui feront défaut ailleurs.

Premièrement, l’Empire entreprend de reconstruire une marine qui restera à l’abri dans les rades. Ces constructions ne serviront jamais car la chute de l’Empire en 1814 ne permet pas de reprendre l’offensive à grande échelle.

Deuxièmement, une politique de petites expéditions est menée, c’est ce qu’on appellera plus tardivement la « guerre des frégates ».

Enfin, l’Empereur réactive sa flottille composée de petites unités dispersées entre le Texel, l’Escaut, Boulogne-sur-Mer et Cherbourg sous le commandement du contre-amiral Baste. Ces concentrations donnent souvent lieu à des escarmouches entre unités légères françaises et britanniques.

Emeric Essex Vidal (artiste), Clark & Dubourg (graveurs), Signal Defeat of the French Squadron of 7 Praams, carrying each 12 Guns, 24 p. each, & Fifteen Brigs, off Boulogne, 20th Sepr.1811, In the presence and direction of Bonaparte, By H.M.S. Naiad, Captn. Phil. Casteret, and the Castilian, Renaldo, and Redpole Brigs, Which terminated in the Capture of the Ville de Lyons, one of the largest of the 7 Praams. Rear Adml. Basle, Commanded the French Squadron, 1812.

Si Waterloo parait bien éloigné des rivages de la mer du Nord, la bataille qui l’a rendue célèbre est la résultante de l’histoire des guerres de la Révolution et de l’Empire dont les aspects maritimes jouent un rôle important.

La Grande-Bretagne n’aurait pu être victorieuse sans les ressources considérables qu’elle se procure grâce à sa maitrise des mers. La marine est aussi le reflet de cette première mondialisation qui changent les habitudes quotidiennes des européens et provoque de profondes mutations économiques.

Une juste étude de la période napoléonienne ne pourrait se faire sans prendre en compte ces données et de facto l’histoire maritime du Premier Empire. La bataille de Waterloo resterait un évènement isolé de tout continuum temporel.

C’est pourquoi, la nouvelle scénographie du musée présentera une vitrine maritime dans la salle consacrée à Napoléon.

 

 Quentin Debbaudt, Coordinateur scientifique.

 

Bibliographie

Boudriot J,  Le vaisseau de 74 canons –  Tome II, Paris, Collection Archéologie Navale Française,1977

Muffat S, Les marins de l’Empereur, Paris, Soteca, 2021.

Petard M, Le sabre d’abordage. Histoire du sabre de bord français de Louis XIV à la IIIe République, Paris, canonnier, 2006.

Thomazi A (Capitaine de vaisseau), Les marins de Napoléon, Paris, Tallandier, 1950 (édition de 2004).

Kräbenbübl A, « Les sabres de bord français modèles an IX à 1833 » in Gazette des armes, 321, 2001.

 

Sources en ligne

 

Sabre de bord, dit d’abordage, modèle 1811, Musée national de la Marine disponible sur https://mnm.webmuseo.com/ws/musee-national-marine/app/collection/record/9773 (consulté le 10 avril 2023).