Les indiamen, porteurs de l’expansion britannique.

Dans le cadre de l’exposition « La marine sous le Premier Empire », nous présentons deux objets essentiels pour comprendre l’histoire navale de cette époque. Il s’agit d’une lettre adressée par Arthur Wellesley alors en poste en Inde en 1802 et de la maquette du vaisseau Le Boullongne présenté en construction sur son chantier. C’était un vaisseau de 600 Tonneaux de la Compagnie des Indes française, tonnage moyen pour les années 1750.

L’expansion britannique en Inde.

À partir du XVIIème siècle les Britanniques commencent leur expansion en Inde qui deviendra à l’époque Victorienne et jusqu’en 1947, le joyau de leur Empire. L’Inde était divisée en plusieurs états dont les rivalités ont fait le jeu des puissances occidentales qui s’y établissent via des comptoirs commerciaux dont l’exploitation est concédée à des compagnies.

Une compagnie connue sous le nom de East India Company est créée par les Anglais en 1600 pour s’occuper du commerce avec « les Indes ». Cette compagnie appuyée par la puissance de la Royal Navy établit des bases sur la route maritime afin de garantir la navigation de ses bâtiments. C’est ainsi que l’île de Sainte-Hélène sera investie en 1657 par la Compagnie. L’île est donc en dehors de la juridiction britannique et ce sera l’une des causes de la détention de Napoléon sur cette île entre 1815 et 1821. La compagnie devenue britannique parvient au fur (et) à mesure des traités qui suivent les guerres à évincer les autres compagnies européennes pour s’ancrer comme la nouvelle puissance en Inde.

Néanmoins, la compagnie est dépassée par les nombreux conflits qui demandent une importante force militaire. L’État prendra peu à peu la place de la compagnie. C’est dans cette optique qu’Arthur Wellesley se trouve en Inde entre 1796 et 1805. L’exposition présente à ce titre une lettre appartenant à la collection du musée Wellington rédigée par Arthur Wellesley alors colonel au lieutenant-colonel Spry, le 14 janvier 1802. Cette lettre été présentée précédemment dans la rubrique « Zoom sur la collection »

Un navire pour le commerce.

Afin de convoyer de grandes quantités de marchandises en sécurité, il convient de produire des vaisseaux ayant une grande capacité de transport et une forte artillerie. C’est ainsi que naquirent les Indiamen en Grande-Bretagne, dans les Provinces-Unies et en France.

Frédéric-Henry de Chapman, relève qu’un vaisseau de la compagnie des Indes en 1800 était long de 39m54, large de 10m11 et d’un tirant d’eau de 5m85. Ils pouvaient jauger entre 800 et 1200 tonneaux.

Son aspect est fait pour impressionner, l’amiral Pâris relève que « son dessin à l’aspect d’une frégate avec 11 sabords en batterie et 3 sur la dunette » et qu’en « 1805 ils portaient de 50 à 54 canons ». Ils étaient souvent peints au niveau de la coque avec des bandes horizontales jaunes et noirs pour les confondre avec des bâtiments de guerre de la Royal-Navy.

 

Cet objectif de rendre impressionnant les indiamen sera pleinement atteint par la compagnie comme l’atteste deux évènements historiques. En 1800 le jeune Louis Garneray alors embarqué sur La confiance de Robert Surcouf décrit le Kent comme une frégate. Information erronée que reprend le chant français « Au 31 du mois d’Août » qui mentionne dans son premier couplet :

Au trente-et-un du mois d’août (bis) Nous vîmes venir sous l'vent à nous (bis) Une frégate d’Angleterre
Qui fendait la mer et les flots C’était pour attaquer Bordeaux

Le contre-Amiral Linois fait la même méprise quand il décide de battre en retraite devant un convoi de 16 indiamen et un brick armé à la bataille de Poulo Aura en mer de Chine méridionale le 15 février 1804. Linois pense avoir affaire à une escadre composée de vaisseaux à deux-ponts supérieure à la sienne. Le commodore Dance qui commande le convoi décide de bluffer et de mettre ses navires en ligne de bataille. La ruse fonctionne et les Français s’échappent poursuivis par Dance qui reprend sa marche deux heures plus tard ! Cette affaire mettra l’Empereur Napoléon dans une grande colère.

Les indiamen accomplissaient la traversée entre l’Angleterre et l’Inde ou la Chine en passant par le cap de Bonne-Espérance. Une campagne prenait 18 mois. Les principaux ports indiens étaient Bombay, Madras et Calcutta.

Avec la fin de la menace corsaire sur les routes commerciales, les indiamen feront place dans les années 1830 à des navires inspirés des Clippers américains plus rapide et moins armés.

La prise du Kent

Robert Surcouf a bâti sa légende sur la « prise du Kent ». Cet épisode sera magnifié par Louis Garneray dans ses mémoires et son tableau relatant ce fait d’arme du corsaire malouin.

Le Kent est un indiaman lancé en 1799 et qui effectue son premier voyage vers le Bengale en 1800 commandé par le capitaine Robert Rivington. Il est intercepté le 7 octobre 1800 par Robert Surcouf qui commande le brick La confiance.

Le Kent porte 40 canons et compte 437 hommes d’équipage renforcé par les hommes d’un Indiaman détruit par le feu, le Queen. La Confiance possède 24 canons et 150 hommes. Ces chiffres font néanmoins l’objet de débats entre les historiens de la marine.

Surcouf s’approche du Kent pour se trouver sous son bord. Le capitaine Rivington commet alors l’erreur de réduire sa voilure pour mieux manœuvrer. Surcouf se place alors sous le vent puis aborde son adversaire. Cette manœuvre réduit à néant l’avantage que confère son artillerie au Britannique. L’assaut et les combats au corps à corps qui en résultent donne la victoire à Surcouf dont l’équipage est mieux préparé aux combats. Le vaisseau de la Compagnie baisse son pavillon, Surcouf remet ses prisonniers quelques jours plus tard à un navire de commerce arabe.

L’histoire navale ne se résume pas aux grandes batailles comme Aboukir ou Trafalgar mais se comprend aussi comme étant une évolution technique permettant de développer des activités commerciales. C’est ce talent de grand transporteur qui permettra au Royaume-Uni de s’imposer comme puissance mondiale puis de devenir la Première puissance mondiale entre 1815 et 1914. Cette grande histoire, l’Angleterre la doit, entre autres, à ses Indiamen et aux marins qui les menaient à travers les mers du globe.

 Quentin Debbaudt, co-commissaire de l’exposition « La Marine sous le Premier Empire »

Bibliographie

Garneray L, Corsaire de la République, Paris, Libretto, édition 2022.

Gillet J-C, La marine impériale, le grand rêve de Napoléon, Paris, Giovanangeli Bernard, 2010.

Markovits C, « L’Inde dans l’économie mondiale au XIXe siècle » in Revue d’histoire du XIXe siècle, 56, 2018.

Muffat S, « La prise du Kent, le plus célèbre combat de Surcouf » in Napoléon Ier magazine, Paris, Soteca, 2021.

Pâris (Vice-Amiral), Souvenirs de marine, collection de plans ou dessins de navires et de bateaux anciens ou modernes existants ou disparus, troisième tome, Grenoble, édition des 4 Seigneurs, 1976.

Source web

Bowen, »Privilege and Profit: Commanders of East Indiamen as Private Traders, Entrepreneurs and Smugglers, 1760–1813. » in International Journal of Maritime History 19.2, 2007. Disponible sur https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/084387140701900204?journalCode=ijha (consulté le 18 février 2023).

Brown, R, “Guns carried on East Indiamen, 1600–1800” in International Journal of Nautical Archaeology, 19, 1990. Disponible sur https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1111/j.1095-9270.1990.tb00228.x?journalCode=rjna20 (consulté le 18 février 2023).

 

Debbaudt Q, “La lettre d’Arthur Wellesley au lieutenant-colonel Spry” in Zoom sur la Collection, Waterloo, musée Wellington, 2021. Disponible sur https://www.museewellington.be/la-lettre-darthur-wellesley-au-lieutenant-colonel-spry-2/ (consulté le 18 février 2023)