Le fusil d’infanterie numéro 1 ou comment armer la révolution belge ?

La réserve du musée Wellington contient certaines armes postérieures à la bataille de Waterloo qui ont été confondues à une certaine époque avec des armes de l’époque des guerres de la Révolution et de l’Empire en raison de leur similitude apparente.

C’est le cas pour le fusil enregistré sous le numéro d’inventaire P2.

Cette arme est un fusil à silex belge nommé « fusil d’infanterie numéro 1 », la première arme réglementaire de l’histoire de l’armée belge. Elle fut produite après la Révolution belge de 1830. Cette arme est donc postérieure de plus de 15 ans à la bataille de Waterloo même si son mécanisme est similaire à celui des armes françaises de l’époque.

Comme pour de nombreuses armes, l’examen des estampilles et des poinçons nous renseigne sur son histoire à défaut d’une documentation précise sur son entrée dans la collection du musée.

L’examen du canon ne présente pas le poinçon « ELG » de Liège créé en 1811 ce qui signifierait que l’arme n’est certainement pas liégeoise.

Le poinçon au double L couronné est probablement celui du fabricant de l’arme mais son nom reste inconnu.

La crosse présente des estampilles comme la marque de réception du gouvernement belge qui se marque par les lettres « GG ». Ce fusil a donc servi dans une unité de l’armée belge. La crosse arbore aussi le macaron aux initiales de l’inspecteur des armes de guerre et du contrôleur principal. Ce macaron nous renseigne sur l’année de fabrication ainsi que sa nationalité belge par la
marque G.B, le reste étant très difficilement lisible. Ce fusil date donc de
1831.

Poinçon du fabricant.
Marque de réception du gouvernement belge et macaron de l’inspecteur des armes de guerre.

Les premières troupes belges

Si notre fusil vient après les journées de septembre 1830, il participe à la lutte du peuple belge pour s’émanciper de la domination hollandaise.
Le Dr. Natasja Peeters du War Heritage Institute a
écrit une intéressante étude uniformologique que nous reprenons ici afin de
recontextualiser le fusil de notre collection.

Au niveau de l’uniforme afin de se différencier des soldats hollandais, les troupes révolutionnaires belges adoptent le bleu de travail, habit assez facile à
trouver. Même les plus riches combattants à l’image du comte Frédéric de Merode adoptent cette tenue ouvrière. A cette époque, Bruxelles et Liège sont
d’importante villes ouvrières !

Frédéric de Merode est alors engagé dans les « chasseurs Chasteler » sorte de corps francs dont les membres sont issus de la bourgeoisie. Ses armes sont significatives de la difficulté que rencontrent les Belges au niveau de
l’armement, aussi disparate qu’inefficace dans une bataille rangée. Le Comte
tient ici un fusil de chasse et un pistolet.

Cette tenue au départ symbole d’humilité va s’uniformiser par le règlement du 19 octobre 1830 comme le montre le portrait du volontaire Jean-Baptiste Génie. C’est aussi à cette période que le gouvernement entreprend de standardiser l’armement afin de pouvoir faire face au retour offensif des troupes de Guillaume Ier des Pays-bas.

 

Anonyme, Portrait du comte Frédéric de Merode (1792-1830) en tant que Chasseur Chasteler, Bruxelles, Musée royal de l’Armée, n° inv. 401903
Anonyme., Portrait de Jean-Baptiste Génie (1809-1882) un volontaire louvaniste, Bruxelles, Musée royal de l’Armée n° inv. 400953

Comment armer la jeune Belgique ?

Le gouvernement provisoire, qui est confronté à la menace d’un retour des Hollandais, va tenter de sauver la récente indépendance belge par plusieurs actions dont une intense activité diplomatique. Il faut néanmoins former une force capable de tenir tête au retour offensif venu des Pays-Bas.

Pour parer au plus pressé, des armes de toutes sortes furent collectées et celles jugées correctes furent poinçonnée « GP » sur le pan supérieur du tonnerre. Cela ne suffit pas, les soldats belges devront disposer d’un armement standardisé pour avoir une chance face aux troupes professionnelles de l’armée des Pays-Bas.

A cette fin, le gouvernement passe commande en octobre 1830 de fusils qui seront connus sous le terme de numéro 1. Le choix de ce type d’arme s’explique par la situation que laisse le régime des Pays-Bas en Belgique en matière de production d’armes d’infanterie. En 1815, la jeune armée hollando-belge est équipée de fusil français de prise comme en témoigne la convention du régiment d’Orange-Nassau lors de son incorporation dans l’armée des Pays-Bas stipule le 18 juillet 1814 dans l’article 5 « Les fusils devront être bien conditionnés et du calibre adopté pour l’armée nationale. Celui français sera également reçu ».

La seconde arme fut le fusil Brown Bess acheté en Grande-Bretagne, les deux armes se côtoient dans l’armée des Pays-Bas jusqu’en 1820. L’armée du Royaume des Pays-Bas standardise alors son fusil d’infanterie en récupérant les machines et les ouvriers laissés par l’Empire Français en 1814. Les Liégeois relancent la production d’un fusil similaire au fusil d’infanterie français Mdle 1777. Ces armes sont reconnaissables par la gravure « Mle 1815 » sur la culasse.

En 1831, le gouvernement provisoire réutilise à son tour les ouvriers et les machines issues de l’époque impériale pour la réalisation du premier modèle standardisé de l’armée belge.

Ce modèle fut fabriqué à Liège et s’inspire du modèle 1815 hollandais et du 1822 français d’un calibre de 17.5 mm. Il armera l’infanterie de ligne du jeune royaume jusqu’en 1841 qui verra l’apparition du système à percussion.


L’intérêt de cette arme dans le cadre du futur bicentenaire de la révolution belge.

En 1841, de nombreuses armes à silex sont reconditionnées pour devenir des armes à percussion. Cette transformation consistait en une intervention au niveau de la platine sur les pièces spécifiques à la mise à feu par silex, le chien, le bassinet, la batterie et son ressort. Mais aussi l’obturation des emplacements des vis et du trou de lumière, l’ajout d’un chien « marteau » et enfin l’adjonction d’une masselotte par soudure à la forge sur le pan supérieur droit du tonnerre afin de pouvoir y placer une cheminée.

Ces transformations altèrent l’authenticité de nombreuses armes, heureusement notre fusil ne subit pas ces transformations et reste un témoin privilégié de la lutte de la Belgique pour son indépendance.

 

Quentin Debbaudt, Responsable des collections

Bibliographie
Coppens Bernard, Courcelle Patrice, La Papelotte, Waterloo 1815, les carnets de la campagne N° 4, Bruxelles, Editions de la Belle-Alliance, 2000.
Peeters N, « À l’image de Mars ? Le portrait militaire belge de 1830 à 1848 au Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire à Bruxelles » in Cahiers de la Méditerranée, 83, 2011.
Remise Jac, « Un siècle d’armes réglementaires belges » in Gazette des Armes N° 171, 1987.

Site internet
Fusil d’infanterie N°1 disponible sur http://littlegun.be/arme%20belge/fusils%20reglementaires/1%201%20infanterie%20no%201%20fr.htm (consulté le 29 juin 2022)