Le fusil Albini-Braendlin

Notre collection possède dans ses réserves un fusil postérieur à la bataille de Waterloo, un exemplaire de l’Albini-Braendlin en service dans l’armée belge entre 1867 et 1889.

Ce fusil est le résultat d’un processus de création et d’amélioration. Le premier modèle fut développé par l’Amiral italien Augusto Albini (1830-1909) qui prit part à plusieurs engagements lors du Risorgimento. Albini parvient à faire produire son fusil à Woolwich et à le vendre à plusieurs pays. Le fusil intéresse les Américains lors de l’exposition universelle de 1867 à Paris mais ils ne donnent pas suite au projet d’acquisition.

Le fusil Albini est perfectionné en 1865 par le fabricant d’armes britannique Francis Braendlin qui ajoute un verrou à tête de chien, on parle depuis du fusil Albini-Braendlin. En 1867, l’armée belge transforme ses anciens fusils modèles 1777, 1841, 1853 en ajoutant une culasse levante du modèle Albini-Braendlin.

Le fusil Albini-Braendlin se chargeait par sa culasse levante avec une portée de 1200 mètres. La cartouche de 11mm utilisée comportait un culot en laiton avec un bourrelet mince et un corps en clinquant roulé recouvert de papier beige. L’étui mesurait entre 50 et 53 mm. La balle cylindro-ogivale de 25g était en plomb mou. En 1881 la cartouche fut modernisée avec un étui entièrement en laiton, en gardant toujours la forme arrondie de la balle plomb.

Cette arme fut retirée progressivement du service à partir de 1889, remplacée par le fusil Mauser 1889. L’armée n’était pas parvenue à perfectionner l’Albini-Braendlin malgré des essais effectués au camp de Berveloo avec des chargeurs rapides Krnka en 1880. L’Allemagne ayant équipée ses troupes du Mauser modèle 1871-1884, l’adoption d’un fusil à répétition devenait une nécessité. Une partie des Albini-Braendlin sont envoyés au Congo Belge pour équiper la Force Publique, ils joueront un rôle dans les combats de la Première Guerre mondiale en Afrique.

Notre fusil ne présente pas beaucoup d’indications car le poinçonnage semble avoir été en partie meulé. Seul le poinçon « 68 » indique son année de fabrication tandis qu’un poinçon peu lisible semble illustrer le pilori symbole de Liège. Le canon étant lisse, notre fusil a certainement été utilisé par la Gendarmerie qui s’en sépare en 1908.

La crise de 1870-71.

Malgré le fait que cette arme fut en service bien après la bataille de Waterloo, nous pouvons néanmoins rapprocher notre fusil d’un évènement qui concerne la défaite d’un autre Napoléon, le neveu du premier. Cette défaite c’est la guerre franco-prussienne de 1870-1871 qui touche de manière indirecte notre pays.

C’est un royaume de Belgique qui craint pour sa neutralité qui voit apparaître à ses frontières une guerre entre la Prusse et ses alliés germaniques contre la France. Les tractations entre la France et la Prusse des années 1860 ne réconfortent pas la Belgique comme l’écrit le roi Léopold II à la reine Victoria “Bismark passe généralement sur le continent pour avoir plus ou moins offert la Belgique à la France après Sadowa” tandis que “L’Empereur Napoléon est un conspirateur, il trame toujours quelque chose, rentre souvent ses projets sans les oublier tout à fait et pour mieux les reprendre

Craignant de donner un prétexte à une éventuelle violation de notre neutralité, le roi veille à rester le plus neutre possible. Dans son château de Ciergnon qu’il met à la disposition des blessés, il demande de respecter scrupuleusement la part de 50% de français pour 50% de germaniques même si des lits doivent rester vides !

En privé, le roi prétend à la reine Victoria que “c’est l’empereur Napoléon qui est le vrai coupable” de la guerre et que l’Europe tout entière devrait “profiter du moment” pour dicter ses conditions à Napoléon III. Après Sedan, le roi juge la résistance française inutile et commence à s’inquiéter des visées expansionnistes de Bismarck notamment sur le Grand-Duché de Luxembourg. Quant à la naissance de la IIIème République, Léopold II écrit à Victoria, le 02 avril 1871 “La république de 1848 a été bien misérable et celle de 1870-1871, le sera encore d’avantage

Enfin, Léopold II se démène au niveau diplomatique auprès de la Grande-Bretagne pour que Britannia face de la violation de la neutralité belge, un casus-belli. Ce qu’il obtient dès le début des combats protégeant ainsi la Belgique.

Deux Dolmans belges, l’un de guide à gauche, l’autre de lancier à droite de l’ex-collection William Joseph Meredith présentés au musée Wellington dans le cadre de l’exposition temporaire sur la Première Guerre Mondiale en 2020.

L’armée belge en 1870

Le général Chazal fut désigné pour commander les forces belges devant protéger la frontière. D’origine française, il est naturalisé belge en 1844, admire Napoléon III qu’il décrit en 1863 comme étant “prévoyant et doué du génie des grands souverains” et aussi l’armée française “A aucune époque la France n’a eu une armée comparable à celle dont elle dispose aujourd’hui”. Chazal visite Napoléon III et l’Impératrice Eugénie à Biarritz, il trouve l’Impératrice bien au fait des questions d’actualité et de technique militaire ce qui ne manque pas de l’impressionner.

L’armée française jouit d’une telle réputation que Pierre Lierneux du War Heritage Institute évoque un “véritable engouement pour le matériel qui y était conçu : les grandes réformes de l’uniforme belge entre 1850 et 1855 en seront l’exemple le plus significatif ». De ce fait, les uniformes belges s’inspirent des uniformes français.

L’artillerie est composée de canons rayés Wahrendorff à chargement par la culasse de calibres de 8 et de 9 avec une portée de 4000 mètres et ceux de 12 et 15 avec une portée de 5000 mètres supérieur à celle des canons français. Napoléon III visitant une position d’artillerie belge à Recogne dira à sa suite “
Voilà donc, messieurs, ce canon qui nous a vaincu”. Afin de déployer nos canons, 3000 chevaux sont achetés pour tracter cette artillerie.

 

80.000 soldats sont mobilisés sous les drapeaux par l’appel de 10 classes, néanmoins comme l’écrit Philippe comte de Flandre à la Reine Victoria “c’est bien peu à comparer aux masses énormes qui sont aux prises”.

Le recrutement se fait sur une loi de 1817, héritage du Royaume des Pays-Bas. Chaque année, l’état définit un contingent et les appelés sont tirés au sort, il est possible de payer un remplaçant. Le service durait 26 mois pour l’infanterie, 4 ans dans la cavalerie et l’artillerie. Les soldats belges proviennent donc de milieux modestes car ils ne peuvent s’offrir de remplaçant. La troupe est cependant assurée de manger à sa faim par trois repas journaliers avec de la viande tous les jours sauf le vendredi. En 1868, la loi porta le contingentement annuel à 12000 hommes dont 1000 en réserve. Le corps des officiers d’état-major n’est pas formé de manière aussi poussée qu’ailleurs, l’ouverture de l’école de guerre datant de 1869.

En 1870, les évènements de 1815 sont encore présents dans la mémoire populaire car les contemporains de Léopold II ont encore entendu des « anciens » raconter les évènements qui marquèrent la chute de Napoléon Ier. De ce fait, la population appréhende une incursion prussienne, la mémoire collective étant encore marquée par la brutale occupation prussienne de 1814-1815. Ainsi, en décembre 1870, 3 uhlans prussiens escortés par 5 cavaliers belges semèrent l’émois à Liège.

Il ne faut pas s’étonner qu’un musée ayant une certaine ancienneté contienne des objets « hors sujet ». En effet, pendant des années de nombreux musées n’avaient pas de politique d’acquisition et aucun service d’expertise. Ces derniers avaient tendance à accepter tous les dons. Ce fusil relate aussi l’histoire du musée et de la gestion muséale en Belgique.

Depuis 2019, le musée Wellington propose un service d’expertise et depuis fin 2021 a organisé un conseil scientifique qui se prononce sur l’acquisition d’objets et le choix d’expositions temporaires.

Nous garderons notre fusil Albini-Braendlin en réserve mais il pourra servir dans des expositions au musée Wellington ou à l’extérieur car en plus d’une valeur patrimoniale, il possède une valeur de médiation. Sa matérialité permet d’expliquer l’histoire de l’évolution technique de l’armement, le rôle diplomatique décisif de Léopold II dans une crise internationale menaçant la Belgique, les combats de la Première Guerre mondiale en Afrique mais aussi une histoire plus locale par celle de notre gendarmerie.

Quentin Debbaudt, Responsable des collections du musée Wellington.

Bibliographie

  • Reports of the United States Commissioners to the Paris Universal Exposition, 1867: Published Under the Direction of the Secretary of State by Authority of the Senate of the United States, Government printing office, Washington, 1870, Volume 5
  • La Meuse, 11 décembre 1870.
  • Demoulin R, “Documents inédits sur la crise internationale de 1870” in Bulletin de la commission royale d’histoire, 1957, 122.
  • Garsou J. “Chazal et Napoléon III” in revue belge de Philologie et d’Histoire,1949, 27.
  • Huon J, « Le fusil Albini-Braendlin » in La gazette des armes, 2003, 346.
  • Janssens J, “Napoléon III sur le chemin de la captivité” in Revue des deux mondes, 1959.
  • Lecomte L, Lamertin H, Les armes portatives des troupes belges de 1830 à 1910, éditeur Libraire, Bruxelles, 1910.
  • Lierneux P, “Vers le havresac modèle 1853 de l’armée belge ou l’uniformisation de l’équipement selon la mode française” in Militaria Belgica, 1991.
  • Sonck J-P, « les débuts de la Guerre 14-18 au Congo » in Mémoire du Congo et du Ruanda-Urundi, 2014, 29.

Site internet

https://www.treccani.it/enciclopedia/augusto-albini_(Dizionario-Biografico) (consulté le 2 septembre 2022)

Debbaudt Q, « Le dolman des guides de l’armée belge » in Zoom sur la collection, 2021 consultable sur https://www.museewellington.be/dolman-guides/ (consulté le 3 septembre 2022)