La flottille de Boulogne-sur-Mer, première partie

Dans le cadre de l’exposition « Marine sous le Premier Empire » visible au musée Wellington entre le 13 janvier 2023 et le 01er mai 2023, j’ai présenté une conférence sur la flottille de Boulogne-sur-Mer. Cette flottille, facette navale du camp de Boulogne[1] , est cependant souvent négligée par l’historiographie. Le but était de présenter sa création, le contexte naval de l’époque, les moyens mis à disposition, les types de navires construits et enfin son histoire de manière non-exhaustive.

Cet article reviendra sur le contexte historique, le choix de Boulogne-sur-Mer, la création de flottille et son évolution.

Un second et un troisième article reviendront sur les tentatives britanniques de destruction de la flottille, le recrutement, les manœuvres projetées après 1805, des questions économiques et techniques et enfin sur l’héritage laissé par la flottille.
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[1] Le camp de Boulogne désigne le rassemblement des armées françaises sur les côtes de la Manche et de la Mer du Nord dont le point névralgique était situé à Boulogne-sur-Mer.

Vue du port de Boulogne-sur-Mer depuis un navire Britannique, 1805

La marine française écrasée

La construction de la flottille doit se comprendre plus généralement dans les guerres issues de la Révolution française. La « Grande Nation » fut en guerre contre les monarchies européennes dans la décennie 1790. C’est notamment le cas de la Grande-Bretagne à qui la Convention déclare la guerre le 1er février 1793 à la suite du renvoi de l’Ambassadeur de France en poste à Londres après la prise d’Anvers par les Français.

Si les armées de la République réussissent à remporter de nombreuses victoires sur terre, sur mer, il en va tout autrement. Les navires français subissent une série de défaites cinglantes qui réduisent ses possibilités opérationnelles. Nous retiendrons les principales :

– Bataille de Prairial (1er juin 1794, perte de 7 vaisseaux).

– Campagne du Grand Hiver (décembre 1794 à février 1795 perte de 5 vaisseaux).

– Bataille du Cap Noli (14 mars 1795 perte de 2 vaisseaux)

– Bataille de l’île de Groix (23 juin 1795 perte de 3 vaisseaux)

– Bataille des îles d’Hyères (13 juillet 1795 perte d’un vaisseau)

– Expédition d’Irlande (décembre 1796 à janvier 1797 perte de 3 vaisseaux)

– Bataille d’Aboukir (1er août 1798 perte de 11 vaisseaux).

Ces revers sont la résultante du délabrement de la flotte française qui est durement touchée par la Révolution. Les approvisionnements en munitions navales[2] se tarissent, une partie des officiers émigrent, les équipages touchés par la fièvre révolutionnaire perdent toute discipline. Enfin, le blocus britannique des ports français prive les équipages d’un entrainement en mer pourtant indispensable.

[2] Le terme « munitions navales » désignait le goudron de pin, brai, poix, employés au calfatage des navires ainsi que les cordes et voiles.

James Gillray, End of the Irish Invasion ; — or — the Destruction of the French Armada, 1797.
James Gillray, End of the Irish Invasion ; — or — the Destruction of the French Armada, 1797.
Carte de Boulogne-sur-Mer en 1725 décrivant l’état d’ensablement de l’estuaire de la Liane, Boulogne-sur-Mer, bibliothèque des annonciades.

Boulogne-sur-Mer, ville portuaire de la Mer du Nord dans le département du Pas-de-Calais a été utilisée plusieurs fois comme une base de départ d’une invasion de l’Angleterre. Jules César y embarque en -54 puis Claude en 43, enfin le roi Louis XV y fait rassembler des navires lors de la guerre de 7 ans (1756-1763) pour ce qu’on appelle « l’expédition particulière » qui avorte. En 1940, les Allemands y rassembleront des péniches de débarquement dans la perspective d’un débarquement en Angleterre connu sous le nom d’opération Seelöwe. Cette opération sera annulée à la suite de la victoire britannique lors de la bataille aérienne d’Angleterre et au déclenchement de l’opération Barbarossa contre l’URSS en 1941.

Guillaume le Conquérant, en 1066 choisit de s’élancer plus au sud en partant de Saint-Valéry sur Somme.

 

D’un point de vue technique, Boulogne-sur-Mer est un mauvais choix car le port s’ensable très rapidement et demande des travaux colossaux afin d’être en état d’accueillir une flotte.

Est-ce le souvenir de Claude et César[1] ou la volonté d’impressionner l’Angleterre en établissant une armée d’invasion sous ses yeux qui conduisent à choisir Boulogne-sur-Mer ? La question fait encore débat.

Bonaparte va prendre les choses en main sous le consulat et faire appel à l’ingénieur Joseph-Mathieu Sganzin (1750-1837), chef du service des travaux maritimes, afin de rendre le port de Boulogne-sur-Mer opérationnel. Sa rade devait pouvoir accueillir plus de 1000 péniches ! L’ingénieur travaille aussi à réparer les écluses d’Ostende détruites à la suite du raid britannique des 18 et 20 mai 1798[2] et enfin à moderniser le port d’Anvers.

Sganzin va être confronté à l’ensablement de l’estuaire de la Liane[3] et va combattre ce phénomène naturel par différents moyens. Notamment par l’édification d’un port de halage et d’une écluse de chasse.[4]

Il construira ensuite un bassin pouvant accueillir plus de 1000 navires de débarquement. Ce bassin accueille aujourd’hui le port de plaisance de Boulogne-sur-Mer.


[1] L’Antiquité est considérée à l’époque comme un modèle absolu.

[2] Raid mené par le capitaine de frégate Popham et le Major-Général Coote afin de détruire les écluses d’Ostende.

[3] Phénomène que l’on peut observer à quelques kilomètres de Boulogne-Sur-Mer avec l’ensablement de l’estuaire de la Canche à Etaples.

[4] Ecluse de chasse : construction destinée à retenir l’eau nécessaire pour chasser, par son courant, la vase ou le sable qui obstruent un port ou un canal.

Plan général du port de Boulogne, 1811, Boulogne-sur-Mer, bibliothèque municipale.
Canonnières suédoises coulant un navire russe, détail de la « La bataille de la baie de Vyborg » par Ivan Aivazovsky, musée de Belygorod, 1846.

A l’origine de la flottille

La flottille connaitra différentes étapes que j’ai divisée en 3 périodes : La première flottille entre 1794 et 1797, la flottille consulaire entre 1801 et 1805 et enfin la flottille impériale entre 1811 et 1814[1].

L’origine de la flottille trouve ses racines en Scandinavie alors touchée par la guerre russo-suédoise entre 1788 et 1790.[2] Un ingénieur anversois, Joseph-Auguste Muskeyn[3], participe à cette guerre du côté suédois et remarque l’extrême efficacité que les Suédois font de petites embarcations notamment lors de la bataille navale de Svenskund des 9 et 10 juillet 1790.

Les Russes y perdent environ la moitié de leurs hommes et 73 navires russes sont coulés, incendiés ou capturés (dont leur navire-amiral, le Catarina) alors que les Suédois n’ont perdu que 5 navires et environ 300 hommes. Cette lourde défaite navale russe oblige Catherine II de Russie (1762-1796) à négocier la paix avec la Suède.

Ardent Républicain, Muskeyn obtient l’autorisation de quitter l’armée suédoise pour se mettre au service de la France.

 

En 1794, Muskeyn propose à la Convention de s’inspirer des victoires suédoises pour vaincre la Royal-Navy et dessine un premier type de navire nommé « Bateau Muskeyn ». 

 

[1] Cette troisième flottille sera étudiée ultérieurement.

[2] La guerre russo-suédoise oppose entre 1788 et 1790, la Russie et la Suède. Cette guerre fut déclenchée par le roi de Suède Gustave III pour détourner l’attention de l’opinion sur les affaires intérieures. Elle se termine par une défaite russe et un statut quo ante bellum.

[3] Il existe très peu de données sur la vie de Muskeyn.

La première flottille (1794-1797)

Les navires sont construits dans la région dunkerquoise et rassemblés dans le port de Dunkerque. Leur première mission est de soutenir l’invasion de l’Irlande par le général Hoche en décembre 1796 mais à peine sortie de la rade de Dunkerque, la flottille est dispersée par un coup de vent et doit revenir au port. Cette expérience condamne l’idée d’utiliser la flottille en haute-mer.

Une seconde mission confiée à la flottille en juillet 1797, consiste en un débarquement de troupes pour reprendre les îles normandes de Saint-Marcouf alors occupées par les Britanniques. Pour cela, Muskeyn fait transiter par cabotage ses canonnières entre Dunkerque et le Havre. La flottille connaitra exactement le même sort qu’en 1796, un coup de vent balaie les vaisseaux de Muskeyn à la sortie du Havre. 30 canonnières coulent ainsi sans avoir tiré un seul coup de canon.

Ce deuxième échec fait abandonner le développement de la flottille.

Plan d’un bateau à la Muskeyn, Paris, archive de la Marine.

La seconde flottille (1801-1805)

En 1801, le Consulat a stabilisé la situation continentale à la suite de la victoire remportée par le Premier Consul à la bataille de Marengo, le14 juin 1800. Bonaparte, fort de son contrôle des côtes de la mer du Nord et de ses ports stratégiques du Havre, de Boulogne-sur-Mer, Calais, Dunkerque, Ostende, Anvers et de Vlissingen peut envisager de se tourner résolument vers l’Angleterre.

Seulement, il est conscient qu’il ne pourra « dicter la paix » qu’à Londres. Il doit pour se faire traverser la Manche, cette opération demande de disposer d’une flotte. Malgré un redressement significatif de l’effort naval français, la flotte française est encore incapable d’affronter victorieusement sa rivale britannique. Deux choix s’offrent à Bonaparte, attendre le relèvement de la flotte, ce qui prendra des années ou construire un expédient très rapidement. Le caractère impulsif du Premier Consul, le portera à choisir la seconde solution.

Il trouvera l’homme de la situation en Pierre-Alexandre Forfait (1752-1807), brillant ingénieur naval qui, reprenant l’idée de Muskeyn, théorise « Un vaisseau de 74 canons, portant 500 hommes de débarquement vaut un million et ne se fait pas en moins d’un an; cinq bateaux canonniers qui porteront le même nombre de soldats vaudront 4000 à 5000 livres et l’on peut en faire 100 par mois »[1]. Il n’en fallait pas plus pour convaincre Bonaparte. Cependant, les Amiraux ne croient pas à la flottille mais sont bien forcés de suivre les impulsions données par le Premier Consul.

C’est ainsi que Forfait reçoit l’autorisation et les moyens pour développer une flottille composée de 5 types de navire.

La Prame est le navire le plus lourd de la flottille. Elle était à fond plat munis de 3 quilles et portait un grément de Trois mâts à phares carrés. Son artillerie se composait de 12 canons de 24 livres et 1 mortier de 12 pouces pour soutenir les troupes débarquées. Son équipage se composait de 50 à 70 marins et elle pouvait transporter 200 soldats.

 

[1] Cité par Thomazi A (Capitaine de vaisseau), Les marins de Napoléon, Paris, Tallandier, 1950 (réédition de 2004)

Modèle d’arsenal de La foudroyante, Paris, Musée National de la marine.

La chaloupe canonnière est le navire le plus élégant de la flottille. Elle était gréée en brick. Portait 3 canons de 24 livres et 2 caronades. Son équipage se composait de 40 marins et transportait 120 soldats.

Chaloupe canonnière, Boulogne-sur-Mer, bibliothèque des Annonciades

La péniche, d’une construction plus fine et légère que les autres bâtiments de la flottille. Elle était non-pontée. Gréée en lougre, elle portait une caronade sur l’avant et pouvait transporter 150 soldats.

Péniche, Boulogne-sur-Mer, bibliothèque des Annonciades

Le bateau-canonnier était gréé en lougre et disposait d’un canon de 24 sur l’avant et d’un canon de campagne de 8 sur l’arrière (non-fonctionnel en mer) destiné à être débarqué afin de soutenir la progression des troupes. Son équipage se composait de 5 à 10 marins. Il pouvait transporter 150 soldats et 2 chevaux pour tracter le canon. Les archives nous apprennent que 350 unités furent produites.

Bateau-canonnier, Boulogne-sur-Mer, bibliothèque des Annonciades.

Le bateau-écurie
destiné à transporter l’appoint équestre indispensable aux opérations de
progression en Grande-Bretagne. Equipé de 2 canons de 24 sur l’avant, il
pouvait transporter 100 chevaux[1].

 

[1] Une maquette est en gestation par le département « Age of the sail » du

musée Wellington.

Maquette d’arsenal d’un bateau écurie, Paris, Musée national de la marine.

Le bateau-écurie
destiné à transporter l’appoint équestre indispensable aux opérations de
progression en Grande-Bretagne. Equipé de 2 canons de 24 sur l’avant, il
pouvait transporter 100 chevaux[1].

 

[1] Une maquette est en gestation par le département « Age of the sail » du

musée Wellington.

Quentin Debbaudt, coordinateur scientifique du musée Wellington et co-commissaire de l’exposition « Marine sous le Premier Empire »

Bibliographie 

Détails de la manoeuvre du canon, d’un obusier de 6 et 8 pouces à bord des bâtimens de la flotille nationale.

Maquettes de la marine impériale, collection du musée de la marine à Trianon, (cat exp), Versailles, Snoeck, 2014.

Flotille. Dispositions à suivre en cas d’incendie arrêtées à Boulogne le 1er germinal an XII

Flotille. Instructions pour les équipages des bateaux de première espèce. Instructions pour les équipages des péniches

Beaucour F, Les Constructions de bateaux pour la flotille de Boulogne faites à Saint-Valéry et à Abbeville en 1803-1804

Bottet M, Napoléon aux camps de Boulogne – La côte de fer et les flottilles, Paris, Collection XIX, 1914.

Gillet J-C, La marine impériale, le grand rêve de Napoléon, Paris, L’artilleur, 2010.

Lacrosse (contre-amiral), Tactique de la flotille nationale, 1804.

Maison G, Ypersel de Strihou (van) A et P, Napoléon en Belgique, Bruxelles, Racines, 2002.

Monaque R (amiral), Une histoire de la marine de guerre française, Paris, Perrin, 2016.

Napoléon Ier (Empereur des Français), « Lettre au Vice-Amiral Comte Decrès, Ministre de la marine », 8 février 1812 in Correspondance de Napoléon Ier, Tome 23, Paris,

Piouffre G, « Reconstitution d’un bateau canonnier de la flottille de Boulogne » in Le modèle réduit de bateau, 365, avril 1994.

Thomazi A (capitaine de vaisseau), Les marins de Napoléon, Paris, Tallandier, 1950 (réédition de 2004).

 

https://archivespasdecalais.fr/layout/set/print/Decouvrir/Decouvrir-en-images/Expositions-virtuelles/Napoleon-et-le-camp-de-Boulogne/La-flottille-de-Napoleon-sur-les-cotes-du-Pas-de-Calais (consulté le 15 avril 2023)