La bataille des Quatre-Bras par Mathieu-Ignace Van Brée

Le musée Wellington possède deux gravures réalisées par Mathieu-Ignace Van Brée (1773-1839) qui illustrent la campagne de 1815. Nous nous intéresserons plus particulièrement à celle qui représente la bataille des Quatre-Bras du 16 juin 1815.

Cette œuvre conservée sous le numéro d’inventaire 97/133/a est exposée dans la salle Hollando-belge et représente « Son altesse royale Guillaume George Frédéric Louis Prince héréditaire du Royaume des Pays-Bas à la tête des bataves combattant l’armée française aux Quatre-Bras». C’est une gravure issue d’une huile sur toile acquise par les Musées Royaux des beaux-arts de Belgique en 1890 conservée sous le numéro d’inventaire Inv.3186.

Cette gravure fut réalisée en 1817 dans la vague de la « waterloomania » qui touche l’Europe, phénomène que nous avons précédemment étudié avec le plat signé Faber conservé au musée Wellington. 
L’œuvre est exposée pour son aspect culturel qu’incarne Van Brée dans l’adaptation du style troubadour en Néerlande du sud (la Belgique) que l’on retrouve sur d’autres œuvres de cet artiste. Nous développerons cet aspect stylistique plus loin dans l’article.
L’illustration de Van Brée est aussi pertinente en ce qui concerne l’uniformologie, extrêmement sérieuse. Cette volonté de rendre une œuvre quasi-journalistique au point de vue militaire n’est pas courante en ce début du XIXème siècle.

En agrandissant le coin inférieur gauche de la gravure, nous pouvons observer une intéressante représentation de soldats néerlandais en 1815.

La jeune armée des Pays-Bas qui se forme en 1814 achète de l’équipement britannique mais conserve aussi des particularités françaises. Ce mélange franco-britannique opéré par les Néerlandais produit un équipement original pouvant être vu comme une transition entre les principes militaires de l’Empire français et ceux que prendront le Royaume des Pays-Bas dans les années 1820.

Ces soldats néerlandais, probablement des miliciens, portent l’habit court à l’anglaise. Le shako est également du type britannique tandis que celui de l’officier est du nouveau modèle évasé vers le haut. Cela montre que le nouveau shako que porte l’officier selon le règlement du 9 janvier 1815 n’avait pu être attribué à la troupe en juin 1815. Si l’officier porte ce nouveau shako contrairement à ses hommes c’est que le règlement du 26 février 1814 lui en donne la primeur. L’officier présenté ici est probablement un officier supérieur car il porte deux épaulettes. La buffleterie est du modèle britannique mais sans la plaque de poitrine.

L’influence française est encore manifeste par le havresac à poil que porte la troupe et le sabre-briquet visible sur un soldat, peut-être un sous-officier qui ne présente cependant aucun galon. L’armement est plus difficile à identifier avec assurance.

Un officier français blessé arbore la légion d’honneur ce qui permet à l’artiste de donner encore plus d’importance à la victoire alliée et à la participation néerlandaise en grandissant la qualité militaire du vaincu.

Les détails de cette gravure nous permettent donc d’avoir un aperçu très intéressant de l’aspect de l’infanterie des Pays-Bas lors de la campagne de 1815 en dehors de la lecture des documents qui ne pourraient suffire à une étude complète.

Le peintre Mathieu-Ignace Van Brée.

Mathieu-Ignace Van Brée est l’un de ces peintres qui par une extraordinaire faculté d’adaptation et un talent artistique indéniable s’est adapté à plusieurs régimes successifs sans que cela ne bloque son ascension. Nous retrouvons cette faculté des artistes belges chez d’autres personnalités comme Faber précédemment étudié dans cette revue.

Van Brée naquit à Anvers en 1773, son père le décorateur Jacques Van Brée (1747-1809) l’initie à la peinture puis il entre à l’académie d’Anvers ou le peintre Petrus Johannes van Regemorter (1755-1830) figure parmi ses professeurs.

Le jeune anversois va ensuite étudier à Paris à l’atelier du peintre François-André Vincent (1746-1816) royaliste et rival du célèbre peintre républicain Jacques-Louis David (1748-1825). Van Brée se distingue rapidement en obtenant la deuxième place du célèbre prix de Rome en 1797 pour sa « mort de Caton d’Utique » tableau s’inscrivant pleinement dans la vague néo-classique. Ce tableau montre par son jeu clair-obscur prononcé et par un certain maniérisme des personnages que Van brée fut l’élève d’un opposant à la vision davidienne de l’art néo-classique qui prônait un rigorisme plus marqué.

Van Brée, « La mort de caton d’Utique » exposé au Philbrook Museum of Art.

Revenu à Anvers après son succès parisien, il réalise pour la ville d’Anvers deux allégories à la gloire de Napoléon dont « Le Premier Consul couronné par la Victoire, prenant sous sa protection le Commerce, les Sciences et les Arts ».

Au cours de la visite à Anvers du Premier consul en 1803, Van Brée se rapproche de Joséphine qui le fait « peintre de l’impératrice » sous l’Empire. Le peintre anversois lui servait d’intermédiaire afin d’enrichir la collection impériale de toiles flamandes et hollandaises.

Van Brée devient en 1803 professeur à l’académie d’Anvers. Profitant de sa proximité avec le préfet, il obtient de nombreuses commandes comme « L’entrée de Bonaparte et Joséphine à Anvers, le 18 juillet 1803 », le « lancement du Friedland » en 1810 ou encore la « présentation du roi de Rome à la ville de Gand » en 1811 dans un style néo-classique qui reste en dehors des grands schémas davidiens.

Après la remise d’Anvers aux alliés, le 4 mai 1814, Van Brée s’adapte très rapidement à la domination néerlandaise. Il reçoit la commande officielle de la réalisation du portrait de Guillaume roi des Pays-Bas qu’il exécute en 1814. Ce portait est aujourd’hui intégré dans la collection des Musées Royaux d’art et d’Histoire (inv.200).

Cette adaptation se sent dans ses compositions qui passent d’un style néo-classique français à un style plus historiciste qui s’inspire largement du baroque flamand. Le coup de pinceau est plus souple et la palette chromatique plus chaude. La même évolution se remarque chez Faber et ses paysages à la Tenier. Ce retour au Baroque, est l’équivalent de la vogue « troubadour » que l’on retrouve en France lors de la Restauration monarchique. Cette évolution est parfaitement visible dans son « Régulus retournant à Carthage » conservé au Musées Royaux des Beaux-Arts (inv. 736) peint en 1815.

Cette adaptation à la norme culturelle néerlandaise le conduit à devenir peintre ordinaire du Prince d’orange « héro de Waterloo » en 1817 puis devint en 1827, directeur de l’académie d’Anvers ou il forme des artistes importants comme Antoine Wiertz. Van Brée décède d’une attaque d’apoplexie, le 15 décembre 1839.

Van Brée « Regulus retournant à Carthage », MRBAB (inv.736)

Son œuvre représentant le Prince d’Orange se comprend parfaitement puisque comme « peintre ordinaire » de l’héritier des Pays-Bas, il participe à la mise en œuvre matérielle du discours néerlandais présentant le futur Guillaume II comme le héros de Waterloo. La plus grande trace de ce discours reste le célèbre lion de Waterloo érigé là où le jeune prince fut blessé. C’est pourquoi le musée Wellington a choisi d’exposer cette œuvre dans la salle Hollando-belge face à la maquette du lion de Waterloo comme une résonnance picturale à cet exemple d’architecture monumentale.

En définitive, Van Brée est l’un de ses artistes qui grâce à son talent d’équilibriste politique et pictural s’adaptera aux différents régimes sans jamais chuter à la différence d’une « star » comme Jacques-Louis David. Si le nom de Van Brée est aujourd’hui presque oublié, il reste intéressant par son souci du détail historique, sa technique aboutie et son évolution picturale témoin des nombreux soubresauts de l’Histoire que sa génération a dû affronter.

Quentin Debbaudt, Responsable des collections du musée Wellington

 

Bibliographie

  • Coppens B, Les armées de Waterloo 1815, Réédition revue et augmentée, Editions de la Belle Alliance, Bruxelles, 1999
  • Debbaudt Q, « Le plat à la chapelle de Waterloo par Faber » in Waterloorama 59, Waterloo, avril 2022.
  • Deseure B, « Le temps retrouvé? La récupération du passé dans le cérémonial public anversois » in Bonaparte et l’Escaut: le spectaculaire développement d’Anvers à l’époque française. Parmentier Jan, Anvers, 2013. p. 137-144.
  • Dupont Christine A. «Ne pas voyager en touriste»: les artistes belges en Italie (1830-1914) » in Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques, 2008, vol. 130, no 2, p. 38-46.
  • Gerrits L, Biographie de M.I Van Brée, Antwerpen, 1852.
  • Guedron M, « Mathieu-Ignace van Brée et la naissance du mythe romantique de Rubens à Anvers » in Jaarboek van het Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Antwerpen, 1998.
  • Lacaille F, « Mathieu-Ignace Van Brée (1773-1839), un peintre au service de Napoléon » in Bonaparte et l’Escaut, le spectaculaire développement d’Anvers à l’époque française, MAS Book, Antwerpen, 2013.

    Sites internet
    https://www.fine-arts-museum.be/fr/la-collection/mathieu-van-bree-episode-de-la-bataille-de-waterloo-le-prince-d-orange-aux-quatre-bras?artist=van-bree-mathieu-1 (consulté le 15 mars 2022).
    http://www.artnet.fr/artistes/mathieu-ignace-van-bree/ (consulté le 15 mars 2022)