Les billets de réquisitions

Le musée Wellington présente dans son exposition permanente une série de billets de réquisition qui concernent essentiellement des logements. Ils sont exposés dans la salle du soldat et dans la salle prussienne.

Ces billets étaient très fréquents à l’époque car les armées partaient en campagne avec une logistique simplifiée afin de garantir une meilleure mobilité. En outre, la période préindustrielle ne permet pas d’envisager d’important déplacement de matériel car des moyens techniques comme le chemin de fer n’existaient pas.

S’il existe des unités chargées de la logistique comme le Royal Wagoon train britannique ou le train des équipages français, celles-ci se concentrent surtout sur le transport des armes et des munitions.

Napoléon essaie de mettre en place un système de ravitaillement alimentaire mais celui-ci s’avère inefficace en campagne. L’armée marche trop vite et « devant l’incurie du système, les réquisitions et les levées extraordinaires deviennent rapidement un moyen de fournir des vivres à la troupe »[1] écrit l’historien Alain Pigeard.

Les soldats se voient contraint la plupart du temps de « vivre sur le pays » qu’ils traversent et ce au dépend des habitants qui doivent leur fournir des moyens de subsister. Napoléon dans la lettre qu’il adresse au Maréchal Soult le 14 juillet 1810 écrit cette phrase « Vous devez avoir pour principe que la guerre doit nourrir la guerre. »[2]

Afin de donner une apparence légale à ses réquisitions, les officiers délivrent à leurs soldats des « billets de réquisitions ». Théoriquement la personne ayant reçu le billet de réquisition pourra se faire dédommager par la suite. Cependant, ces remboursements s’avèrent la plupart du temps impossible à obtenir.

Les Belges et les réquisitions en 1815

Depuis 1814, la population belge voit passer sur son territoire de nombreuses armées étrangères. Russes, Français, Prussiens sillonnent notre pays et y réquisitionnent de quoi vivre. Les Britanniques achètent ce qu’il leur manque mais le choix de vendre est rarement laissé à la population.

Les plus importantes réquisitions viennent de l’armée prussienne car elle occupe notre territoire considéré comme « pays ennemi ». En effet, la Belgique faisait partie intégrante de la France depuis 1797 et le traité de Campo-Formio[3]. Ce n’est qu’en mars 1815 que les territoires belges sont rattachés au nouveau royaume des Pays-Bas.

En 1815, l’Armée française en mouvement ne fera que traverser nos régions, ses réquisitions seront moindres. Enfin l’armée britannique payait ce dont elle avait besoin, le système des « billets de réquisition » n’y existait pas. C’est donc le Prussien, surnommé « la vermine verte » qui est vu comme le principal accapareur de biens.

Une chanson populaire en Wallonie disait :

« Savez-vous ce qu’est un Prussien ?

Un goinfre à quatre panses,

Il boit jusqu’à en tousser,

Il avale tous les pains.

J’avais du lard au plafond,

De la bière dans la cave.

Ils ont tout bu, tout mangé.

Leurs boyaux sont si longs

Qu’on ne sait les remplir.[4]

 
Billet de logement utilisé le 13 avril 1815 par l’armée prussienne, Waterloo, musée Wellington, 13 avril 1815.

A Cognelée, un habitant déclare à son maire dans une pétition que cinq soldats prussiens ont logé chez lui en 1815. Il décrit leur comportement « Les soldats battaient leur hôte, exigeaient de lui des provisions qu’ils gâchaient aussitôt délibérément ; à leur départ, ils tuèrent tout le bétail, saccagèrent la maison et défoncèrent le jardin ».[5]

Mu par une sorte d’instinct de survie, les civils prennent d’ailleurs l’habitude de cacher leurs biens consommables. C’est ainsi que le futur chanoine Tellier de Waterloo, jeune homme à la fin de l’Empire, témoigne en 1814 que son père : « Toujours prudent, toujours prévoyant, s’est occupé à préparer des « cachettes ». Nous y avons travaillé plusieurs jours et plusieurs nuits avec notre voisin, el comte qui était notre maçon et même notre factotum. Nous avons mis nos linges et nos meilleurs effets dans des tonneaux, pour les préserver de l’humidité. Nous avions une assez grande quantité de tonneaux remplis de vinaigre, qui furent placés dans la grande cave, sous la cuisine ; il y en avait jusque contre la voûte, l’entrée de la cave fut bouchée par un mur. »[6]. Ces cachettes seront réutilisées le 16 juin 1815 « Dans la matinée, nous nous sommes occupés à renfermer nos meilleurs effets dans des tonneaux, qui ont été placés dans des cachettes préparées l’année précédente. »[7]

Billet de logement utilisé par les Prussiens à Seraing, le 30 mars 1815, Waterloo, musée Wellington, 30 mars 1815.

Les Waterlootois avaient été échaudés par les événements consécutifs à la Révolution brabançonne lorsqu’en décembre 1789, la localité est occupée par les troupes autrichiennes qui ont été chassée de Bruxelles. Un témoin cité par Philippe de Callataÿ rapporte :

« Dans la nuit du 12 au 13 décembre, ceux dudit Braine ont logé une nuit le général d’Alton, le colonel de Ligne , le commandant du régiment de Bender, trente quatre officiers de différents grades et 1980 soldats, tout des régiments de Ligne, Bender, grenadiers. Item ont logé 77 chevaux desdits régiments. (…) Le 13 Xbre 1789, le matin, ayant reçu une lettre par ordonnance (…) de nous rendre à Mont St Jean à la ferme de Malthe sous notre jurisdiction chez Son Excellence le général comte Dalton, où nous étant rendus, le dit général nous dit que nous devions lui fournir prestement 1980 livres de viande, dix sept tonneaux de bière et 3960 livres de pain, à peine d’exécution militaire et d’avoir notre endroit rasé ».[8]

Le style ne laisse pas de marbre d’autant plus que le général d’Alton est censé s’adresser à des compatriotes, les Pays-Bas étant encore autrichiens !

Les billets de réquisition ne sont pas les pièces les plus impressionnantes exposées au musée Wellington mais ils témoignent du vécu des civils lors des guerres de la Révolution et de l’Empire.

Plus tard, l’apparition des moyens de transports industriels comme le chemin de fer permettra aux armées de compter sur une meilleure logistique. Les civils continueront cependant à souffrir de la présence de soldats sur leur territoire.

Quentin Debbaudt, Conservateur du musée Wellington

[1] Pigeard A, L’Armée de Napoléon : organisation et vie quotidienne, Paris, Tallandier, 2000, p.284.
[2] Cité par Reverchon A, « La Grande Armée vit sur la pays » in Lentz T et Lopez J (dir. de) Les mythes de la Grande Armées, Paris, Perrin, 2022, p.67.
[3] Le traité de Campo-Formio est signé par la France et l’Autriche en 1797 et met fin aux combats initiés en 1792. Il prévoit notamment le rattachement des Pays-Bas à la République française. Ces territoires étant occupés militairement par la France.
[4] Cité par Gérard J, Napoléon Empereur des Belges, Bruxelles, Collet,1985, p.336.
[5]  Cité par Thielemans M-R, La Belgique au temps de Napoléon (catalogue d’exposition), Bruxelles, ministère de l’Éducation et de la culture, 1965, p. 24.
[6] Cité par Gérard J, Napoléon Empereur des Belges, Bruxelles, Collet, 1985, p.306.
[7] Idem p.308.
[8] Cité par Callataÿ (de) P, Le musée Wellington : trois siècles d’histoire au cœur de Waterloo, Waterloo, échevinat de la culture de Waterloo, 2014, p. 27.

Bibliographie

  • Callataÿ (de) P, Le musée Wellington : trois siècles d’histoire au cœur de Waterloo, Waterloo, échevinat de la culture de Waterloo, 2014.
  • Gérard J, Napoléon Empereur des Belges, Bruxelles, Collet, 1985.
  • Pigeard A, L’Armée de Napoléon : organisation et vie quotidienne, Paris, Tallandier, 2000.
  • Reverchon A, « La Grande Armée vit sur la pays » in Lentz T et Lopez J (dir. de) Les mythes de la Grande Armées, Paris, Perrin, 2022.
  • Thielemans M-R, La Belgique au temps de Napoléon (catalogue d’exposition), Bruxelles, ministère de l’Éducation et de la culture, 1965.