La carabine Baker

La bataille de Waterloo a opposé des armées qui ne présentaient pas de différences majeures au niveau de leur technologie. La distinction se faisait essentiellement dans l’utilisation tactique des armes et les manœuvres.

Néanmoins, une exception semble confirmer cette règle, il s’agit de la carabine Baker. L’emploi de cette arme dans la défense de la ferme de la Haie-Sainte par les troupes hanovriennes du Major Baring permettra de repousser les attaques françaises et d’infliger de lourdes permets aux troupes de l’Empereur.

La chute tardive de la Haie-Sainte permet à Wellington de tenir sa ligne de défense pour permettre aux Prussiens d’arriver en masse sur le champ de bataille. Ce sera l’un des facteurs clés dans la victoire des coalisés, le 18 juin 1815.

C’est pourquoi, notre musée présente une carabine Baker et son sabre baïonnette dans l’exposition permanente. Cette pièce est un dépôt du Royal Armouries Museum.

Carabine Baker au musée Wellington, Waterloo, musée Wellington (dépôt du Royal Armouries Museum), XII.5242.

La carabine Baker.

La Guerre d’indépendance américaine (1775-1783)[1] a démontré l’utilité d’un fusil court de chasse et les dégâts qu’il pouvait occasionner à des soldats marchant en ligne régulière.

Sur base de ce constat le Board of Ordnance lança un appel à soumission en 1800 et un essai des différents fusils proposés fut organisé à Woolwich la même année.

Ezekiel Baker (1758-1836) fut retenu avec son fusil. Lors de l’essai, le fusil réussi à placer 11 coups sur 12 sur une cible circulaire de 1,8 m à une distance de 270 m. Par comparaison le fusil standard de l’armée britannique n’avait de précision qu’à 50 mètres et une portée maximale de 200 mètres.  

Cependant, la production s’avéra limitée à 712 exemplaires entre 1800 et 1815. Ezekiel Baker est entré dans le système de la fabrique TOWER qui a sous-traité la fabrication de pièces à plus de 20 armuriers. Cette dispersion des fournisseurs très répandue dans la fabrication d’armes à l’époque entrainait des problèmes au niveau de la chaine logistique qu’une société préindustrielle ne pouvait résoudre. Ainsi de nombreux fusils arrivaient incomplets aux inspecteurs de l’armée britannique qui devaient valider l’entrée en service pour chaque arme. La diffusion de la Baker a donc été extrêmement limitée au vu des effectifs engagés dans les batailles de l’époque napoléonienne.

Techniquement, la carabine Baker se distingue par son canon rayé et sa dimension globale de 114 centimètres (30 centimètres de moins que le fusil standard Brown-Bess) ce qui rend l’arme précise et maniable pour de l’infanterie légère.

L’arme nécessitait néanmoins un entretien régulier, c’est pourquoi la crosse était creuse ce qui lui permettait d’accueillir un petit compartiment pour le nécessaire d’entretien. Sa cadence de tir était aussi inférieure à cause de la difficulté d’insérer la balle dans un canon rayé, un fantassin entrainé pouvait espérer tirer deux coups à la minute.

Malgré ses performances, la carabine Baker ne remplaça pas le Brown Bess. Elle équipa les Rifle Regiments et les tirailleurs placés en avant des troupes de ligne dans le but d’harceler l’infanterie de ligne adverse et d’en tuer les officiers.

L’unité la plus célèbre à avoir utilisée la Baker est le 95th Regiment of Foot qui a servi sous les ordres du Duc de Wellington, de la campagne de la Péninsule à la bataille de Waterloo. Le régiment et sa carabine fut également popularisée dans le monde anglo-saxon par le personnage de Richard Sharpe créé par Bernard Cornwell (né en 1944).

Des unités étrangères perçurent aussi la Baker comme les bataillons légers de la King German Legion (KGL) et des unités portugaises.

Une arme décisive de la bataille de Waterloo ?

La carabine Baker équipait l’infanterie légère de la KGL qui va s’illustrer en défendant la ferme de la Haie Sainte. La carabine permettra de repousser plusieurs attaques françaises avant de succomber sous le nombre.

Le Duc qui a repéré le champ de bataille dès 1814 espère pouvoir contenir les attaques de l’Empereur en s’appuyant sur le terrain (la pente et contre-pente) ainsi que 3 bâtiments qu’il a hâtivement fait renforcer Hougoumont, la Papelotte et la Haie-Sainte.

Selon le Major Baring qui commande le 2ème bataillon de la KGL la ferme « semblait être d’une grande importance, les moyens de défense étaient très insuffisants » néanmoins la KGL fait son devoir « nous cherchâmes tous les moyens possibles pour mettre la place en état de défense »[1].

Le lieutenant Graeme de la même unité fait la même constatation « Nous n’avions pas de meurtrière, à l’exception de trois grandes ouvertures que nous avion pu faire avec difficulté » poursuivant « Nos pionniers avaient été envoyés à Hougoumont le veille au soir. Nous n’avions pas d’échafaudage, ni aucun moyen pour en faire, ayant brûlé les charrettes, etc »[2]. La porte de la grange manque aussi car ne sachant pas que la ferme allait servir de point d’appui, les soldats qui l’occupent ont utilisé son bois pour allumer les feux de bivouac[3].

Le Major Baring décrit les attaques de l’infanterie française « de deux côtés à la fois en colonnes serrées, qui nous entourèrent avec la plus grande rapidité » ses soldats font feu de toutes leurs armes et notamment de leur Baker « dans de telles masses, chacune de nos balles portait, et souvent leur effet ne se limitait pas qu’à faire une seule victime ».

Du côté français, les pertes sont lourdes comme s’en souvient en 1829, le Colonel Heymès, aide-de-camp du Maréchal Ney : « Le ferme crénelée qui couvrait son centre résistait à tous nos efforts ; plus de deux milles des nôtres y avaient été tués en cherchant à l’enlever »[4]

Durant les grandes charges de cavalerie, le Major Baring fait faire feu sur la cavalerie française et les Baker font à nouveau mouche « Comme ils marchaient sur la position en longeant la ferme, je fis diriger sur eux toute notre puissance de feu ; beaucoup d’hommes et de chevaux furent renversés, mais cela ne les découragea pas »

La Haie Sainte finira par tomber vers 18h30. Les pertes sont importantes et les munitions manquent, Baring ordonne alors d’abandonner les bâtiments puis le jardin afin de rallier la ligne de résistance principale

Mutford, La ferme de la Haie-Sainte après les combats, Waterloo, musée Wellington, 99/009/A.

Conclusion

La précision de la Baker placée dans des mains expertes a été démontrée avant la bataille de Waterloo. C’est ainsi que lors de la bataille de Cacabelos en 1809, le soldat Thomas Plunkett du 95th Regiment of Foot abattit le général Colbert à plus de 500 mètres. Il tua ensuite l’aide-de-camp de Colbert, Latour-Maubourg qui était venu en aide à son général. Ce double tir prouva que le résultat n’était pas dû à des circonstances exceptionnelles mais bien à la combinaison entre un excellent tireur et les possibilités technique de la Baker.

Cette expérience se renouvela de manière bien plus létale à Waterloo avec la mort de centaines de soldats français et leur mise en échec des heures durant devant une position qui était difficile à défendre. La encore, le couple « excellent tireur-Baker » démontra l’efficacité de l’invention d’Ezekiel Baker.

Le canon rayé fut l’avenir de l’arme à feu et équipa au fur et à mesure toutes les armées du XIXème siècle.

Quentin Debbaudt, Conservateur du musée Wellington

[1] Ce conflit a opposé les Treize Colonies britanniques d’Amérique du Nord à la Grande-Bretagne de 1775 à 1783.  Cette guerre sera remportée par les États-Unis soutenus par la France, l’Espagne, les Provinces-Unies et des tribus amérindiennes. Les Etats-Unis y gagnent leur indépendance en fondant une république fédérale.
[2] Cité par Coppens B, Courcelle P, La Haie Sainte, les carnets de campagne – numéro 3, Bruxelles, Editions de la Belle-Alliance, 2000, P.64.[3] Idem P.67.
[4] Siborne H.T, Waterloo, les lettres anglaises, Bruxelles, Jourdan, 2009, p.540.
Cité par Coppens B, Courcelle P, La Haie Sainte, les carnets de campagne – numéro 3, Bruxelles, Editions de la Belle-Alliance, 2000, P.77.

Bibliographie

  • Coppens B, Courcelle P, La Haie Sainte, les carnets de campagne – numéro 3, Bruxelles, Editions de la Belle-Alliance, 2000.
  • Siborne H.T, Waterloo, les lettres anglaises, Bruxelles, Jourdan, 2009.

Sources web

  • Edwards, Eric W, The Baker Rifle, Pitt Rivers Museum, 2013 disponible surhttps://england.prm.ox.ac.uk/englishness-baker-rifle.html  (consulté le 16 août 2025).