Les monnaies du siège d’Anvers (1814)

La défaite de Russie en 1812 puis la campagne d’Allemagne de 1813, marqueront le reflux de l’Empire français qui sera ramené aux frontières des conquêtes révolutionnaires sur le Rhin, en Italie et au Pays-Bas.
Les différentes tentatives de conciliations diplomatiques échouant entre Napoléon et ses adversaires, les armées prussiennes, autrichiennes, suédoises, britanniques, russes et d’autres alliés moins décisifs entrent en France pour en finir avec l’Empire en 1814.
Les armées prussiennes et russes envahiront la Belgique et après quelques combats se porteront sur Anvers que la Grande-Bretagne tient à neutraliser depuis la conquête française de 1795.

Napoléon considérant Anvers avec une grande importance confia le soin de sa défense à Lazare Carnot qui remplaça Lebrun, Duc de Plaisance, le 3 février 1814. A 60 ans, le célèbre organisateur des armées révolutionnaires qui préféra se retirer de la vie publique lors de l’avènement de l’Empire, reprend du service. Le commandement des forces navales d’Anvers est confié à l’amiral Missiessy dont les canons soutiendront les défenseurs. L’armée française retranchée dans Anvers face aux Prussiens, Russes, Suédois et Britanniques ne cèdera la ville aux alliés que le 3 mai 1814 après en avoir reçu l’ordre du nouveau gouvernement français de Louis XVIII qui remplace Napoléon sur le trône de France.

Dans une ville assiégée, l’activité économique se poursuit de manière ralentie. Celle-ci est vitale pour les civils vivant dans Anvers. Afin de permettre les échanges basés sur le numéraire, le gouverneur Carnot doit assurer l’existence d’un minimum de liquidités, hors celles-ci viennent à manquer.

Dès lors, Carnot fera fondre des monnaies de siège autrement nommées « monnaies obsidionales » (terme venant du latin obsidionalis « de siège »).

Au vu de son activité navale importante, Anvers dispose de nombreux ateliers qui permettent la fonte de monnaies. Deux ateliers seront sélectionnés, Wolschot sur le Meir ou gravait Ricquier puis celui de l’arsenal ou officiait le graveur Jean-Louis Gagnepain. Wolschot était payés par 3 kilos de cuivre pour 2 kilos de pièces livrées à la ville assiégée sur sa proposition tandis que l’arsenal dépendant du ministère de la marine ne prenait pas de bénéfices.

Le cuivre nécessaire sera trouvé dans les dépôts de la marine impériale qui en stockaient 336.127 kg pour une valeur de 1.500.000 fr. Pierre Lair, chef du génie maritime et colonel des ouvriers militaires de la marine écrit à Carnot le 10 février « je crois que des pièces de 5 à 10 centimes fabriquées avec ce mélange de nos deux espèces de cuivre et du poids des pièces françoises, seroient reçues sans difficultés« . Les valeurs étaient trouvées!

La première pièce de 5 cts (grand module) fait 31 à 32 mm pour un poids théorique de 16,6g et les 5 cts suivantes font environ 30 mm pour 12,5g. Les 10 cts font environ 35 mm pour 25g. Si les pièces sont frappées en bronze ou en cuivre rouge, il existe également des essais en laiton, en plomb et en argent. 

Les premières monnaies furent frappées le 8 mars dans les ateliers anversois après une phase d’essais d’environs 3 semaines. Elles témoignent encore de la fidélité impériale d’Anvers et figure le N impérial lauré surmonté de la mention ANVERS. Celle conservée au Musée Wellington (96/477/a) porte les caractéristiques de Ricquier, une absence de signature, pas de point après « 1814 », un point après « CENT ». Cette pièce fut donc produite à l’atelier de Wolschot sur le Meir.

La seconde pièce de la collection du musée Wellington (96/479/a) montre le basculement politique vers le roi Louis XVIII par une frappe différente. Le N est remplacé par deux LL entrelacés un étroit et un large dont la signification exacte demeurent un mystère. On sait simplement que Wolschot utilisera le large pour les pièces de 10cts et l’étroit pour les pièces de 5cts et que l’arsenal fera le contraire, étroit pour 10cts et large pour 5cts. La pièce de 10 cts conservée au musée Wellington fut frappée chez Wolschot, gravée par Ricquier et en porte la signature matérialisée par le « R » sous le nœud.

Avec la fin des opérations militaires, les activités de fabrication s’arrêtent. Le compte final établit le 30 avril 1814 par Lair comptabilise 20.000 fr de valeur faciale fabriquée, répartie en 17.000 fr pour Wolschot et 3.000 fr pour l’atelier de l’arsenal qui commençant plus tard n’aura que peu de temps pour fabriquer ses monnaies. Ce seront 69.296 pièces de 5 centimes et 217.448 pièces de 10 centimes qui seront frappées.

Suite à l’évacuation française début mai 1814, les vainqueurs font les comptes et avancent le chiffre de 30.000 fr dont 12.000 fr pour l’atelier de l’arsenal par le biais du sous-intendant de Baillet le 14 juin 1814.


Ce chiffre parait bien exagéré au vu des difficultés techniques de l’arsenal dont le sergent-graveur Gagnepain témoigne dans son rapport au colonel Lair du 30 avril 1814. « Les mesures étaient prises pour que, sous un mois, cet arsenal fournit par jour, quatre mille francs de monnaie obsidionale: mais la cessation des hostilités a fait suspendre toutes les dispositions qui avaient été faites à cet égard, et l’on s’est borné à se servir des machines qui existaient dans l’arsenal en arrêtant la construction des autres« .

Les autorités provisoires belges chercheront à expliquer les 10.000 francs de surplus en circulation en accusant Wolschot de continuer à produire de la monnaie. Le 27 novembre une descente de la police du commissaire Giljams à l’atelier de Wolschot qui pourtant plaide son innocence ne trouvera « la moindre trace qu’il fabriqueroit encore de la monnoie » et qu’en conséquence « Aucun indices ne peut me mettre en doute sur la réalité de ses assertions » note finalement Giljams dans son rapport. L’affaire en restera là!

Par la suite, les monnaies obsidionales continueront à être en circulation jusqu’au 14 juin 1825, ou elles cessent d’avoir cours au Royaume des Pays-Bas. En effet, une ordonnance de l’inspecteur-général des finances datée du 3 juillet 1814 ne prévoit pas le retrait de ces monnaies et ordonne aux receveurs des contributions d’accepter les pièces obsidionales. C’est ainsi que des pièces issues du pouvoir impérial continueront à circuler dans nos pays bien après la chute de Napoléon.

Les monnaies conservées au Musée Wellington sont donc le témoignage de la vie d’une ville assiégée dont l’histoire ne se résume pas aux opérations militaires mais inclut également des faits économiques et politiques.

La ville d’Anvers conserve également une trace de ces évènements puisqu’une artère se nomme Carnotstraat.

 Quentin DEBBAUDT

Responsable des collections du Musée Wellington

Bibliographie

  • Arcq Alain et Gaillard Philippe, Les années cosaques, Plougastel-Daoulas, Historic’one, 2010.

  • Callatay François (de), « Review of M. Colaert, Monnaies obsidionales frappées à Anvers en 1814 au nom de Napoléon et de Louis XVIII » in Cercle d’études numismatiques: Travaux 14, Bruxelles, Université Libre de Bruxelles, 2001

  • Carnot Lazare, Ordre du jour du 10 mars 1814 (affiche), Anvers, Imprimerie Delacroix, 10 mars 1814.

  • Carnot Lazare, Ordre du jour du 16 mars 1814 (affiche), Anvers, Imprimerie Delacroix, 16 mars 1814.

  • Genard Pieter, L’hôtel des monnaies d’Anvers, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1874.

  • Mailliet Prosper, Catalogue descriptif des monnaies obsidionales et de nécessités, Paris, Forgotten books, 2018.

  • Martin Emmanuel, « Les monnaies obsidionales d’Anvers (1814) in Les carnets de la sabretache, mai 1903, Pp. 304-316.

  • Verbist L, De geschiedenis van de antwerpse noodmunten van 1814, volgens achiefstukken, Antwerpen, Jaarboek, EGMP, 2001.